Les exigences américaines et les défis géopolitiques ont accru l’urgence pour l’Europe d’augmenter ses dépenses de défense. Lors de la conférence de Munich sur la sécurité le 14 février, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a proposé d’activer la clause dérogatoire générale dans le cadre des règles budgétaires européennes pour les investissements de défense. À la fin de l’année 2024, des articles de presse faisaient état d’un nouvel effort de financement européen d’un montant de 500 milliards d’euros (2,7 % du PIB de l’UE) pour compléter les dépenses existantes et atteindre le nouvel objectif de dépenses de défense. Bien que la manière par laquelle ces augmentations seront faites n’est pas claire, il semble inévitable que d’importantes sommes d’argent seront dépensées par l’Europe pour la défense au cours des prochaines années. Cependant, l’augmentation des dépenses de défense en Europe pose deux défis principaux : réduire les chevauchements industriels entre les États européens, comme le souligne le rapport Draghi, et identifier la stratégie de financement la moins perturbatrice.
Les débats autour de l’autonomie et la centralisation de la défense européenne ne sont pas nouveaux
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe se tourne vers la sécurité collective face à la guerre froide, menant à la création de l’Union de l’Europe occidentale et de l’OTAN, cette dernière scellant l’engagement américain envers la défense européenne. Cependant, les ambitions européennes en matière de défense sont freinées par l’échec de la Communauté européenne de défense, rejetée par la France en 1954. En 1992, le traité de Maastricht initie une politique de défense commune, renforcée par la déclaration de Saint-Malo en 1998 et la création de la PESD (Politique européenne de sécurité et de défense) en 1999. Les années 2000 voient la formalisation des relations OTAN-UE, avec des accords permettant à l’UE d’utiliser les capacités de l’OTAN. Les tensions liées à l’Irak poussent l’UE à renforcer sa défense, aboutissant à la création de l’AED (l’Agence européenne de défense) en 2004 et à la transformation de la PESD en PSDC (Politique de sécurité et de défense commune) par le traité de Lisbonne. Les sommets de 2010, 2014 et 2016 renforcent la coopération OTAN-UE face aux défis communs. Malgré des hauts et des bas, cette coopération progresse, avec des contacts réguliers entre les deux organisations, marquant une évolution notable.
Le discours de Jean-Claude Juncker le 9 juin 2017, lors de sa présidence à la commission européenne, souligne l’importance d’améliorer l’efficacité des dépenses de défense en Europe. La coopération entre l’OTAN et l’UE suscite des débats, opposant les pays qui privilégient la protection américaine à ceux, comme la France et l’Allemagne, qui aspirent à une autonomie stratégique européenne. Malgré les tensions, le sommet de l’OTAN à Londres en 2019 réaffirme le lien transatlantique. Les initiatives européennes, telles que la boussole stratégique, et la révision stratégique de l’OTAN en 2021, offrent une opportunité de renforcer la coopération et de clarifier les rôles de l’OTAN et de l’UE dans la défense européenne.
L’Europe peut financer sa défense, mais il faut encore qu’elle le veuille
Malgré les reproches récurrents venant d’outre-Atlantique, les budgets de défense européens sont plutôt élevés : combinés, les budgets militaires des vingt-sept États membres représentaient 287 milliards de dollars en 2023, soit le troisième budget militaire au monde après celui des États-Unis (880 milliards de dollars) et de la Chine (309 milliards de dollars), bien devant celui de la Russie (126 milliards de dollars, Fig. 1). L’Union européenne a donc le potentiel d’une véritable puissance militaire mondiale. Le problème est que la mise en commun possible des vingt-sept armées européennes reste difficile. La défense étant un domaine de souveraineté par excellence, une évolution des processus, une amélioration de la coordination, une rationalisation des besoins ou encore une simplification de l’acquisition sont autant de clés du succès pour construire la défense de l’Europe.
Aujourd’hui, face au risque de fracture de la relation transatlantique, l’Europe débat les options de financement possibles pour obtenir son autonomie. La dette nationale, la dette de l’UE par le biais des institutions existantes, et une nouvelle facilité européenne sont les solutions citées dans la presse. Le financement des dépenses de défense par la dette nationale créerait des tensions avec la consolidation budgétaire requise par les règles fiscales européennes, en particulier en France et en Italie. L’établissement d’une exception permanente nécessiterait un long processus de réforme ; il semble plus probable que la clause de sauvegarde générale soit déclenchée, comme l’a proposé la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen. Mais cela ne fournirait qu’une solution temporaire au problème de financement.
L’UE pourrait financer les dépenses militaires en réaffectant la capacité financière inutilisée au sein du NGEU (Next Generation EU). Bien que cette option ne nécessite qu’une approbation unanime du Conseil de l’UE, le montant en jeu est faible et ne s’étend que jusqu’en 2026.
Enfin, l’UE pourrait établir un nouveau programme européen ciblant le financement de la défense. Cependant, l’émission de dette de l’UE dans le cadre d’un nouveau programme nécessite l’engagement de contributions supplémentaires au budget de l’UE par les États membres pour éviter que la dette européenne ne soit dégradée. Ces contributions nécessitent alors un vote dans tous les parlements nationaux, en plus du Parlement de l’UE.
Comment se positionner dans ce contexte géopolitique plus complexe ?
L’optimisme des investisseurs quant à la perspective d’un accord de paix entre la Russie et l’Ukraine a entraîné des mouvements significatifs dans les principaux actifs exposés. Compte tenu de la poursuite probable des négociations à court terme, il est difficile de faire obstacle à l’évolution du sentiment du marché. Cependant, nous pensons qu’un examen plus approfondi des fondamentaux est justifié. Notre scénario de référence envisage la signature d’un cessez-le-feu dans le courant de cette l’année, mais les négociations pourraient très bien se prolonger encore longtemps compte tenu du manque de confiance réciproque et de l’étendue des divergences quant à l’issue souhaitée. Nous recommandons une diversification régionale jouant à la fois sur les actions, les obligations, l’immobilier et les produits alternatifs pour se protéger contre les turbulences du marché induites par le contexte géopolitique, tout en s’exposant à des scénarios de risque positifs. Dans l’état actuel des choses, nous déconseillons de se concentrer uniquement sur certains actifs dans la seule perspective de l’accroissement perçu de la probabilité d’un cessez-le-feu en Ukraine. La dynamique de la croissance et de l’inflation au niveau mondial, les décisions de politique monétaire des banques centrales et les politiques commerciales de l’administration Trump demeurent, selon nous, les éléments les plus déterminants de la performance des portefeuilles.
Graphique 1- Les États-Unis dépensent autant pour la défense que les 9 pays suivants réunis
Dépenses de défense (en milliards de dollars, en 2023, aux prix et taux de change constants de 2022)