Devant cette relative urgence, Unibail a donc annoncé un ironique plan ‘RESET’ de 9 milliards d’euros composé d’une augmentation de capital de 3,5 milliards d’euros, d’une limitation des dividendes pour les deux ans à venir, d’une réduction des investissements, et de 4 milliards d’euros de cessions d’ici fin 2021, c’est-à-dire quasiment au pire moment pour les surfaces commerciales…
Pour les créanciers obligataires, il s’agit évidemment d’une bonne nouvelle et l’ensemble de la courbe Unibail s’est appréciée à la suite de cette annonce. Mais pour les actionnaires existants, c’est une perte nette qui doit aujourd’hui être constatée par cette augmentation de capital massive qui diluera les actions actuelles de près de 70% ! Peut-on donc vraiment parler de ‘Reset’ pour ces actionnaires qui ont financé l’entreprise pendant des années et qui doivent aujourd’hui constater leur perte ? Peut-on simplement effacer le passé lorsqu’on a fait des erreurs stratégiques majeures en comparaison de ses pairs, obligeant une des foncières les plus solides en 2015 à opérer, parmi les premières, un plan d’urgence cinq ans après ?
Le terme ‘Reset’ est purement marketing mais ne reflète clairement pas la réalité de l’opération d’Unibail, qui a fait perdre beaucoup d’argent à bon nombre d’actionnaires existants. Heureusement pour les créanciers obligataires dont nous faisons partie, il y a effectivement un ‘Reset’ automatique des échéances obligataires qui finiront, grâce à ce plan, par converger vers 100 ! Et peut-être les actionnaires restant à l’issue de ce plan auront-ils la chance de voir aussi un ‘reset’ du management à la suite de cette gestion discutable de l’entreprise depuis cinq ans qui l’a rendue vulnérable à la première crise.
‘RESET’, c’est aussi le thème du Forum de Davos qui aura lieu en janvier 2021 et dont nous reprendront ici les phrases d’introduction :
« Un engagement à construire conjointement et de manière urgente les bases de notre système économique et social pour un avenir plus juste, plus durable et plus résistant. »
« Un nouveau contrat social centré sur la dignité humaine et la justice sociale, et dans lequel le développement économique n’empiète pas sur le progrès de la société »
Si on ne peut qu’approuver ce genre de banalité qu’on entendrait aussi bien lors d’une élection de Miss France, le terme de ‘Reset’ est encore erroné ici. En effet, depuis le début de la crise, les Etats et les entreprises ont agi à l’encontre totale du terme ‘Reset’ et continueront de le faire aussitôt ces moments de doutes passés : augmenter indéfiniment la dette des Etats (+20% en moyenne cette année en Eurozone et aux USA), augmenter la dette des entreprises, continuer d’aider des entreprises zombies qui ne tiennent que grâce à l’endettement et aux taux bas, accentuer la divergence entre économie financiarisée et économie réelle par l’injection de liquidités, poursuivre l’administration économique et financière par la manipulation des rendements, accentuer la guerre des changes, des normes et des barrières douanières entre les grandes puissances économiques, autant de réalités qui n’ont fait qu’augmenter durant cette crise et seront encore les principaux drivers de l’économie de demain, beaucoup plus que le choix du carburant d’une automobile déjà inaccessible à 90% de la population mondiale et de toutes façons énormément polluante pour sa fabrication et son utilisation…
On a enfin entendu parler de ‘Reset’ lors du discours de Monsieur Powell lorsqu’il annonçait l’objectif d’une reflation de 4% à 5% pour les années à venir, lors de la conférence de Jackson Hole. Il est intéressant ici de noter que ce taux de 4% à 5% fait en fait référence à la notion de « taux naturel » d’une économie, qui serait égal à inflation (2%/3%) + croissance de productivité (1%) + croissance de population (1%) + prime de risque (1%).
On note aisément ici que ce modèle n’a rien d’un « Reset » puisqu’il est issu des théories économiques des années 1920 (Wicksell), largement reprises dans nos économies contemporaines et dans les modèles traditionnels de rendement. On note aussi que ce « nouveau modèle » de Monsieur Powell vise toujours une inflation à 2% alors qu’elle est totalement inexistante, souhaite toujours augmenter la productivité et considère dans son modèle que la rémunération du risque de quelques investisseurs est à peu près équivalente à la croissance de tout le reste de la population !
Quoiqu’on en dise, le ‘Reset’ dont on entend parler est impossible car trop facile et trop évident. Déjà pour une entreprise, parler du ‘reset’ est un concept marketing à moins de la stopper du jour au lendemain, sans conséquence pour personne et d’en recommencer une nouvelle, peut-être quelques génies de la Silicon Valley ou quelques auto-entrepreneurs totalement indépendants peuvent-ils prétendre à ce paradigme ; mais la plupart des entreprises ne peuvent se réinitialiser, elles doivent s’adapter. De même, la construction du monde, de l’économie, des sociétés n’a rien eu d’évident, elle s’est faite sur des siècles et devra, pour opérer des changements, les appréhender sur la même échelle de temps.
Donc non, à moyen terme, il n’y aura ni inflation (hormis celle des actifs déjà entamée depuis presqu’une décennie avec le gonflement des bilans de banques centrales), ni hausse des taux, ni rebond massif de l’économie européenne par la consommation ou l’investissement… Il y aura simplement une poursuite des tendances qui se construisent lentement et que la crise actuelle aura, parfois, permis d’initier : inflation quasi nulle des biens de consommation, re-répartition des richesses au profit des pays émergents et évolution des parités de devises en conséquence, éclosion nouvelles méthodes de consommation, digitalisation, et autres tendances de long terme que nous observons régulièrement dans nos Hebdo Crédit et qui n’ont rien du « Reset »… |