mer. Déc 18th, 2024

L’économie reste prisonnière de concepts classiques comme le produit intérieur brut (PIB), l’endettement, le pouvoir d’achat ou le taux d’emploi. Depuis le début des années 1970, des économistes, dont de nombreux Prix Nobel, ont tenté d’imposer des critères extra-financiers pour renouveler la macro-économie. Des indicateurs censés retracer le bien-être des populations en lien avec le niveau de vie, la santé ou l’éducation ont été développés. In fine, les indicateurs traditionnels, avec en tête le taux de croissance, demeurent les juges de paix. Par leur pouvoir d’agrégation dans le temps et dans l’espace, ils sont incontournables notamment pour comparer, prendre des décisions et prévoir.

La lutte contre le réchauffement climatique percute de plein fouet ces indicateurs. Le passage d’énergies fossiles à des énergies renouvelables en vue de limiter l’élévation des températures et de garantir la pérennité de la planète et de l’espèce humaine, constitue en soi un objectif naturel et donc logique. Or, cette décarbonation est potentiellement, du moins dans un premier temps, source de moindre croissance. Les énergies renouvelables sont moins performantes que celles qu’elles doivent remplacer.
Elles exigent la réalisation d’infrastructures importantes et redondantes en raison de  leur caractère aléatoire et de la mise au rebut d’équipements pas obligatoirement amortis. Si les constructions qu’elles nécessitent peuvent contribuer à la hausse du PIB, leur faible efficience signifie une moindre productivité, contrariant ainsi la croissance.

Pour les ménages, la transition énergétique est potentiellement synonyme de baisse de niveau de vie en lien avec l’augmentation du coût des transports et de celui de la transformation des logements. Les pouvoirs publics sont amenés, de leur côté, à financer la réalisation de nombreux équipements et, éventuellement, à compenser les surcoûts supportés par les ménages. Le corollaire de cette contrainte est un risque de déficits de plus en plus élevés. Ces derniers le seront d’autant plus que le vieillissement démographique augmente les charges publiques liées à la retraite, à la santé, à la dépendance et réduit les recettes avec un nombre plus faible d’actifs.

Faible croissance sur fond de gains de productivité en baisse, endettement en hausse, tous les ingrédients d’un cocktail explosifs sont réunis. Ce contexte est une source de tensions tant internes qu’externes pour l’ensemble des pays.
Pouvons-nous nous extraire du primat du PIB et des autres indicateurs macroéconomiques ? Ces derniers expriment, avec plus ou moins de réussite, le principe de rareté des ressources qu’elles soient humaines, naturelles ou financières. Le recours à un système de prix demeure le meilleur moyen pour prendre des décisions économiques, effectuer des arbitrages et éviter le gaspillage des ressources rares. Les tentatives pour s’affranchir de ce système ont été des échecs patents comme l’a prouvé la triste expérience soviétique. Le système économique ne souffre pas d’un excès de prix mais d’un manque de prix. L’intégration dans les prix des conséquences environnementales de la production demeure le meilleur moyen pour décarboner les économies. Une telle évolution nécessite la fixation de standards mondiaux ; ce qui suppose un large consensus international. En 1944, les Américains et les Britanniques ont réussi à imposer leur modèle financier et commercial notamment à travers les accords de Bretton Woods. Quatre-vingts ans plus tard, la mise en place d’un cadre contraignant en matière environnementale est bien plus complexe en raison du caractère multipolaire de l’économie mondiale, les pays du G7 représentant moins de 50 % du PIB de l’ensemble de la planète.
Face à un risque systémique avéré mettant en danger l’espèce humaine, la solution ne peut être que mondiale avec l’invention de nouveaux outils de financement afin d’aider les pays les plus pauvres. S’il est vain d’espérer la fin du diktat du PIB et des autres indicateurs macroéconomiques, cela ne doit pas empêcher de trouver des moyens pour faciliter la transition énergétique. Le FMI gardien du temple des grands équilibres financiers devrait être l’artisan d’un nouvel accord international visant à rendre possible le respect des engagements pris lors de l’Accord de Paris en 2015. La création de lignes de crédits sous forme de droits de tirages spéciaux (DTS) pour le financement d’infrastructures en lien avec la transition énergétique pourrait être imaginée afin de surmonter les problèmes. La mise en place d’un plan international permettrait de contourner les pratiques protectionnistes qui se multiplient autour de la planète et dontles pays les plus pauvres seront les premières victimes.

Par PHILIPPE CREVEL 

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