mar. Nov 4th, 2025

Deux salles, deux ambiances. Plusieurs banques centrales, dont la Fed et la BCE, se sont réunies la semaine dernière. Leurs décisions et leurs discours ne changent pas notre scénario central ni nos prévisions.

La Fed a ouvert le bal le 29 octobre. Sans surprise, elle a de nouveau abaissé ses taux directeurs : après une première baisse en septembre, la fourchette est passée de 4,0–4,25 % à 3,75–4,0 %. Deux dissensions ont toutefois émergé au sein du FOMC : Stephen Miran, conseiller économique de Donald Trump et membre remplaçant jusqu’en janvier 2026, a plaidé pour une baisse plus forte de 50 points de base, tandis que Jeffrey Schmid (Fed de Kansas City) aurait préféré ne pas baisser du tout. Ces divergences reflètent la position délicate de la banque centrale.

Le mandat de la Fed est double : stabilité des prix (cible d’inflation à 2 %) et emploi maximal. La séquence de baisses engagée en septembre répond à la dégradation récente du marché du travail, qui met en péril le second objectif. Pour autant, l’inflation évolue encore autour de 3 % — 3 % en glissement annuel pour l’indice CPI en septembre et 2,7 % pour le déflateur PCE en août — alimentée notamment par les hausses de droits de douane. Jerome Powell a laissé transparaître ce dilemme dans un discours très prudent sur la trajectoire des taux, à rebours d’un consensus qui envisageait quasi certainement une nouvelle baisse en décembre. La Fed réaffirme sa « dépendance aux données », mais la visibilité est brouillée par le manque de statistiques officielles lié au shutdown.

Powell a aussi annoncé la fin prochaine du resserrement quantitatif (quantitative tightening). Les tensions récemment observées sur le financement interbancaire devraient s’atténuer grâce à une liquidité un peu plus abondante.

Notre lecture : rien de surprenant. Oui, l’emploi s’est dégradé et le marché du travail semble figé, mais les données ne suggèrent pas de rupture nette et reflètent plutôt les effets négatifs de la politique commerciale de Donald Trump. En l’absence de statistiques officielles, les indicateurs alternatifs (enquêtes, données privées) ne valident pas l’idée d’un recul marqué de l’emploi sur les deux derniers mois ; par exemple, l’enquête du Conference Board montre des ménages un peu moins négatifs en octobre sur la situation de l’emploi. Côté inflation, nous ajustons notre scénario : la hausse des droits de douane ne s’est pas encore totalement diffusée, ce qui nous conduit à anticiper une « bosse » d’inflation moins haute mais plus étalée dans le temps. Une baisse de taux en décembre n’est donc pas actée. Les baisses ne sont pas terminées pour autant, mais elles devraient rester peu nombreuses. La perspective d’un retour graduel vers 2 % une fois l’effet tarifs digéré demeure une justification, mais non linéaire. Les incertitudes sur l’inflation au-delà des tarifs persistent et, comme Powell, nous estimons que le niveau actuel des taux est proche du « taux neutre », plutôt autour de ~3,5 % que de ~3 %.

Le risque politique complique davantage l’exercice de prévision. Le mandat de Jerome Powell s’achève en mai 2026. Contrairement à ce que nous envisagions, Stephen Miran aurait été écarté de la liste des prétendants. Kevin Hassett et Kevin Warsh, tous deux proches de Donald Trump, font figure de favoris ; Christopher Waller (membre votant, nommé en 2020) est également bien placé et moins politisé. À ce stade, les tentatives d’ingérence ont échoué, hormis l’entrée de Stephen Miran comme membre remplaçant. Nous pensons que l’indépendance de la Fed sera davantage mise sous pression l’an prochain, sans être perdue, dans le droit fil de notre concept de « clash monétaire ».

La BCE s’est réunie le lendemain et a, elle aussi, fait du statu quo : le taux de la facilité de dépôt reste à 2 %. Le message : les risques pesant sur la croissance ont diminué (PIB du T2 à 0,2 % contre 0,1 % attendu) et l’inflation évolue comme prévu autour de 2 % (2,1 % sur un an en octobre pour l’inflation totale ; 2,4 % pour l’inflation sous-jacente). Christine Lagarde, également « data-dependent », a toutefois souligné les incertitudes : tensions géopolitiques, impact négatif des droits de douane et appréciation de l’euro avec ses effets potentiels sur les prix.

Le Marché du lundi. Cette réunion confirme notre scénario exprimé de longue date. À horizon six mois, nous restons partisans d’un statu quo prolongé, et la barre nous semble désormais plus haute pour de nouvelles baisses d’ici fin d’année. Des risques subsistent néanmoins : l’appréciation de l’euro face au dollar et à la plupart des devises pourrait accentuer les pressions désinflationnistes, même si nous n’en voyons pas encore les signes. L’économie européenne fait preuve d’une résilience étonnante malgré les droits de douane imposés par Donald Trump, mais des effets plus visibles pourraient apparaître au cours de ce trimestre et du prochain, dans une ampleur moindre qu’anticipé initialement. L’instabilité politique en France pèse aussi sur l’équation économique et budgétaire de la zone, mais un scénario de crise de la dette nous paraît peu probable à ce stade et la BCE dispose d’outils en cas de tension marquée sur les taux français — non sans conséquences.

Par ailleurs, la réorientation des exportations chinoises vers l’Europe, au détriment notamment des États-Unis, pourrait intensifier la concurrence sur les entreprises domestiques et peser sur les prix de vente. Pour justifier une baisse supplémentaire, il faudrait toutefois une dégradation nette : de l’activité, de l’inflation, ou des deux. Les données actuelles n’excluent pas totalement ce scénario, ce qui nous conduit à envisager, en alternatif, une nouvelle baisse d’ici six mois. À l’inverse, si ces risques ne se matérialisent pas, ou seulement en partie, la probabilité d’une hausse à moyen terme pourrait augmenter. Le redressement cyclique attendu en Europe générerait alors des pressions inflationnistes modérées à mesure que l’écart de production redeviendrait positif, soutenu, entre autres, par le plan allemand de réarmement et d’infrastructures. À l’horizon du second semestre 2026 (ou un peu après), une hausse de taux n’est donc pas exclue. Mais, comme le rappelait Niels Bohr, « Prévoir est un exercice difficile, surtout lorsqu’il s’agit du futur ». Nous actualiserons nos analyses en conséquence.

Note : l’écart de production mesure la différence entre la croissance observée d’une économie et son potentiel théorique (lorsque tous les facteurs de production sont utilisés).

Source : Ecofi, au 31 octobre 2025.
Les performances passées ne préjugent pas des performances futures. Document non contractuel : analyses et opinions au 31/10/2025, susceptibles d’évoluer, sans valeur contractuelle. Présentation réalisée par Ecofi à partir de sources jugées fiables, pouvant être modifiées à tout moment et sans préavis. À titre informatif uniquement, et ne constituant pas une recommandation d’investissement personnalisée.
Florent Wabont, Économiste.

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