Par Sébastien Bernard, Professeur de droit public à l’Université Grenoble Alpes, Centre de Recherches Juridiques
Qu’est-ce qu’une activité stratégique ? La fabrication du Doliprane en fait-elle partie ?
La notion d’activité stratégique renvoie au dispositif de contrôle des investissements étrangers en France régi par le code monétaire et financier. Ce dernier soumet à une procédure d’autorisation préalable, donnée par le ministre chargé de l’économie, l’investissement étranger dans une activité dite « stratégique ». Le champ de ces activités stratégiques s’est considérablement étendu au fil du temps à travers différents textes législatifs et réglementaires : il comprend aujourd’hui une liste importante de secteurs dont fait partie la protection de la santé publique. Sous cet angle, l’intention annoncée par Sanofi de céder à un fonds d’investissement américain 50% d’Orpella qui est sa filiale de produits en vente libre – dont le Doliprane – entre dans le champ du contrôle des investissements étrangers sur les activités stratégiques. Cela est d’autant plus vrai que l’approvisionnement en Doliprane s’était avéré tendu lors de la crise du covid au point que l’Etat avait annoncé débloquer 40 millions d’euros pour relocaliser en France la production des premières étapes de fabrication du paracétamol.
Que prévoit le décret Montebourg de 2014 ?
Quand on évoque le « décret Montebourg », on désigne en réalité ce dispositif de contrôle des investissements étrangers dont l’origine remonte au milieu des années 1990 mais qui a été renforcé à plusieurs reprises, en particulier à l’initiative du Premier Ministre Dominique De Villepin en 2005, puis du ministre de l’Economie et du redressement productif Arnaud Montebourg en 2014, ainsi que par la loi Pacte de 2019 et enfin à l’occasion de la crise sanitaire.
Le système mis en place est très complet. Si un investissement étranger qui entre dans le champ des secteurs stratégiques est réalisé sans autorisation préalable, le ministre peut prendre une mesure d’injonction, éventuellement assortie d’une astreinte, tendant soit au dépôt d’une demande d’autorisation, soit au rétablissement de la situation antérieure, soit à la modification de l’investissement. Lorsque la demande préalable a bien été déposée, le ministre peut la refuser ou bien accompagner son autorisation de différentes conditions. Dans le cas d’une méconnaissance des termes de l’autorisation, le ministre peut retirer l’autorisation, enjoindre à l’investisseur d’en respecter les termes ou encore prescrire certaines mesures permettant de s’y conformer. Le ministre dispose aussi d’un pouvoir de sanction pécuniaire – dont les montants autorisés se veulent dissuasifs – dans différents cas : réalisation d’une opération sans autorisation préalable, manquement aux conditions posées, obtention d’une autorisation préalable par fraude, non-respect d’une injonction.
De quels outils le gouvernement dispose-t-il pour empêcher la vente de l’entreprise ?
Le Code monétaire et financier permet au gouvernement, dans le cadre du contrôle des investissements étrangers, de s’opposer à la cession d’une entreprise relevant des secteurs stratégiques. Mais bloquer un tel investissement peut paraître risqué dans le contexte budgétaire actuel de la France qui est susceptible d’inciter le gouvernement à ne pas envoyer de signaux négatifs aux investisseurs étrangers. Si l’investissement étranger se vérifie (Sanofi pourrait aussi choisir finalement un autre repreneur, l’investisseur français PAI ayant renchéri de 200 M$ sur l’offre du fonds américain CD&R), le gouvernement peut aussi – et il a semblé plutôt s’orienter dans cette voie selon les premières déclarations ministérielles – conditionner la cession. Ont ainsi été évoquées ces derniers jours des exigences tendant à préserver l’emploi et l’outil industriel sur le territoire français ou encore à maintenir le siège social de l’entreprise en France et à respecter l’engagement pris par l’entreprise pour relancer la production du paracétamol sur le territoire national afin de sécuriser son approvisionnement. Une prise de participation publique – par exemple de Bpifrance – ferait également partie des pistes envisagées pour accroître l’influence de l’Etat sur la vie de l’entreprise fabriquant le Doliprane. Enfin, sans que ce dernier instrument n’ait encore été évoqué, l’Etat dispose aussi de la possibilité d’instituer une action spécifique, également appelée « golden share ». Une telle action permet à l’Etat de contrôler des décisions stratégiques de l’entreprise ; elle peut être instituée depuis la loi Pacte de 2019 en dehors de tout contexte de privatisation afin de protéger les intérêts essentiels du pays, notamment en matière de santé publique.