Crise immobilière en Chine : un air de déjà vu ?
- La crise immobilière chinoise comporte des similitudes avec la crise asiatique de 1997, à travers le surinvestissement dans des secteurs non viables sur le long terme ;
- Néanmoins, le risque financier reste concentré sur l’immobilier, à travers les gouvernements locaux et leurs véhicules de financement ;
- L’endettement colossal de ces derniers est un risque pour le secteur bancaire chinois ;
- Les récentes mesures du gouvernement, notamment sur la restructuration de la dette des véhicules locaux, devraient au mieux permettre de stabiliser le secteur ;
- La Chine a besoin de nouveaux moteurs de croissance, ce qui est difficile dans ce contexte international qui lui est hostile.
La crise financière japonaise de 1997 a été l’événement marquant de l’Histoire moderne
Les déboires des promoteurs immobiliers chinois ont fait ressurgir le spectre de la crise japonaise qui avait précipité l’économie nipponne dans une longue période de stagnation. Est-ce le même sort qui attend la Chine ? Pour répondre à la question, nous proposons un focus sur le secteur immobilier chinois et ses liens entre les différents acteurs.
Le risque financier est concentré sur le secteur immobilier… Des similitudes avec la crise asiatique de 1997 : le sur-investissement
La crise immobilière chinoise comporte des similitudes avec la crise asiatique de 1997. Les pays asiatiques avaient enregistré une croissance rapide basée sur l’investissement. Le taux d’investissement dépassait les 30 % du PIB, voire 40 % pour certains pays. Cependant, la majorité des investissements allait vers les secteurs qui n’étaient pas viables et soutenables sur le long terme comme l’immobilier et des projets d’infrastructures. Cela avait créé des surcapacités dans plusieurs secteurs, contribuant à la création de bulles sur les actifs financiers et immobiliers précipitant la crise financière.
Le rapide essor de l’investissement immobilier…
La Chine a également connu une croissance extraordinaire ces dernières décennies, basée sur l’investissement. Celui-ci représente 40 % du PIB, dont 1/3 est de l’investissement immobilier, comme le montre le graphique ci-dessous.
L’immobilier a d’importantes ramifications sur l’économie chinoise. Il représente ¼ du PIB et 20 % de l’emploi. Sa part est passée de 5 % du PIB en 2000 à 13 % du PIB en 2019.
… Notamment dans le secteur bancaire
Les banques commerciales chinoises, ainsi que les véhicules de financement des gouvernements locaux ont alors rapidement pris des expositions sur le secteur immobilier. Entre 2011 et fin 2021, la part des prêts accordés au secteur immobilier dans les prêts bancaires totaux est passée de 20 % à 27 % à fin 2021, comme le montre le graphique ci-dessous.
Le risque pour les banques commerciales chinoises ne réside pas dans les prêts hypothécaires contractés par les ménages. En effet, les exigences en apport de capital lors de l’achat d’un bien immobilier sont élevées en Chine, à 30 % pour les primo-accédants et plus élevés encore pour les autres acheteurs dans la plupart des villes.
En revanche, la qualité des prêts des promoteurs immobilers s’est détériorée ces dernières années à cause du resserement des restrictions financières dans le cadre du paradigme de « prospérité commune ».
Ces derniers ne représentent que 5,7 % des prêts bancaires totaux
… À travers les gouvernements locaux …
Les autorités chinoises se sont toujours appuyées sur les gouvernements locaux pour relancer la croissance, en soutenant notamment l’investissement en infrastructures. Ils ont joué un rôle important dans l’essor de l’immobilier en fournissant des sources majeures de revenus.
Les gouvernements locaux générent des revenus à partir des terres par deux canaux : la vente des droits d’utilisation des terrains et l’impôt foncier. Le premier canal permet aux gouvernement locaux de « louer » des terres à des acheteurs qui ont le droit de les utiliser, et d’en bénéficier, pendant que le gouvernement central en garde la propriété. La forte hausse des prix des terrains au cours des deux dernières décennies, liée à la rapide croissance du secteur immobilier, avait permis aux gouvernements locaux de soutenir leurs dépenses. Le graphique ci dessous montre la composition des revenus des gouvernements locaux sur la période 2012-2022.
La part des ventes de terrains dans les revenus des gouvernements locaux a augmenté sur la période passant de 20 % en 2012 à 30 % en 2021. En 2022, les restrictions financières sur les promoteurs immobiliers chinois, ont provoqué d’importants défauts de paiements.
Les revenus issus de la vente des terrains ont chuté en 2022, pour ne représenter que 24 % des revenus des
gouvernements locaux, les gouverneurs locaux ayant eu des difficultés à vendre les terrains. La chute des revenus des gouvernements locaux, les a fragilisés car ils sont fortement endettés.
Leur dette a atteint 92 trillions de yuans (12,6 milliards de dollars), soit 76 % du PIB chinois, en hausse de 14 ppt par rapport à 2019.
… Et notamment de leurs véhicules de financement…
Une partie de la dette des gouvernements locaux a été émise par des véhicules de financement, dont les fonds levés ont servi à financer des projets d’infrastructures. L’évolution des gouverneurs locaux au sein du Parti communiste chinois dépend de leur capacité à générer de la croissance, dans laquelle le secteur immobilier a pris un poids important. Les véhicules de financement ont ainsi servi à combler l’écart entre les dépenses et les revenus des gouvernements.
Selon, le Fond monétaire international, leur dette a atteint un record de 9500 milliards de dollars, soit la moitié du PIB de la Chine ! Ils devront faire également face à un mur de la dette. Ainsi, 5,6 trillions de yuans de dette, soit 790 milliards de dollars, arriveront à maturité cette année, comme le montre le graphique ci après.
D’importants montants de remboursement sont également prévus en 2024, pour un montant de 5,5 trillions de yuans.
Aucun véhicules de financement n’a fait jusqu’à présent défaut. Cependant, la crise immobilière qui sévit actuellement en Chine a mis sous pression leur capacité de remboursement, car leurs revenus dépendent étroitement de la vente de terrains et de l’immobilier. D’après le FMI, 30 % des véhicules de financement des gouvernements locaux, seraient non viables, sans le soutien financier du gouvernement central.
Les promoteurs immobiliers chinois ont également utilisé des véhicules de financement, les sociétés de fiducie, pour se financer. Selon la China Trustee Association, le montant total des prêts des sociétés de fiducie au secteur immobilier est d’environ 2 trillions de yuans. À titre d’illustration, les sociétés de fiducie représentent 40 % du financement du promoteur immobilier Evergrande.
… Posant un gros problème aux banques…
Les difficultés des véhicules de financement à rembourser leurs dettes, posent un réel risque aux banques commerciales chinoises qui détiennent 80 % de leur dette.
Selon le FMI, la moitié seulement des coûts de restructuration de la dette des véhicules de financement, leur imposerait des frais de dépréciation de 465 milliards de dollars, ce qui réduirait de 1,7 pourcentage de point le ratio de capital absorbant les pertes par rapport aux actifs.
Dans son rapport d’octobre sur la stabilité financière mondiale, le FMI a simulé les niveaux de ratios de capital des banques pour plusieurs zones dans le cadre de plusiers scénarii, sur la période 2022-2025. Dans le cadre du scénario défavorable, basé sur les hypothèses d’une croissance du PIB chinois d’1 % (au lieu de 5 %) sur les 3 prochaines années dans un contexte de baisse continue de la valeur de l’immobilier, le ratio de capital des banques chinoises baisse à 7,5 % en 2025, le pire niveau parmi les différentes zones comme le montre le graphique qui suit.
Un cercle vicieux peut également apparaître. Les pertes des banques devraient les inciter à ponctionner l’octroi de crédit. Les gouvernements locaux incapables d’emprunter vont couper dans les investissements et les services sociaux, affaiblissant davantage la croissance chinoise.
Quelle crise pour la Chine ?
Des différences notables avec la crise asiatique de 1997
La perspective d’une crise financière chinoise identique à la crise financière de 1997 est improbable, car la dette est détenue par les investisseurs domestiques et non les investisseurs étrangers. Au contraire, la Chine est devenue le premier créancier du monde, notamment pour les pays pauvres. D’autre part, les autorités chinoises n’ont pas ouvert leur compte de capital en maintenant une politique de contrôle du change, ce qui permet aux pays d’être protégé de sorties brutales de capitaux pouvant conduire à une instabilité financière.
Par ailleurs, les banques commerciales chinoises sont sous contrôle de l’État ou des gouvernements locaux qui ne devraient pas les laisser faire faillite, ce qui a permi à la Chine d’éviter des épisodes de « « bank runs » et de paniques bancaires.
L’aléa moral et la reconstitution des primes de risque
Les gouvernements locaux ont pu emprunter massivement car il y avait cette garantie implicite que l’État interviendrait en cas de pépins pour les
C’est exactement ce qui s’est passé pour le secteur de l’immobilier. À cause de son poids important dans l’économie chinoise, il y avait également cette garantie implicite que l’État chinois allait continuer de soutenir le secteur immobilier. Or, en 2022, sous le nouveau paradigme de prospérité commune, le resserrement des restrictions financières sur les promoteurs immobiliers a été un tournant dans la perception du risque immobilier chinois.
La faillite d’Evergrande a montré que l’État n’interviendrait pas pour renflouer les promoteurs. Les primes de risque se sont alors rapidement reconstituées, conduisant à la chute des actifs financiers liés au secteur immobilier, à l’image de l’indice crédit Bloomberg pour la Chine sur le segment « haut rendement » de plus de 50 %, depuis son point haut d’avril 2021, comme le montre le graphique ci dessous.
Ce dernier, après une tentative de rebond en début d’année liée probablement aux attentes élevées sur la croissance chinoise, s’est rapidement éffondré sur ces plus bas de 2022. Le risque se porte plus vers une reconstitution des primes de risque sur les banques et les gouvernements locaux, fragilisant la stabilité financière du pays.
Les autorités chinoises sont conscientes du risque et ont pris une série de mesures pour essayer de restructurer la dette des véhicules de financement, ainsi que permettre aux promoteurs de terminer leurs projets. Les récentes mesures annoncées devraient permettre de stabiliser au mieux le secteur immobilier, mais ne vont pas résoudre le problème de la croissance chinoise.
Conclusion : l’économie chinoise a besoin de nouveaux moteurs de croissance
Vu la taille collossale de la dette, et la faiblesse de la croissance chinoise, le risque d’une rapide hausse des taux de défaut est élevé. Les autorités chinoises ne pourront pas transférer tout le risque vers les sociétés de gestion comme elles l’avaient fait par le passé, lors de sa première crise bancaire. Le modèle économique chinois basé sur l’investissement a montré ses limites. La Chine doit trouver d’autres moteurs de croissance pour éviter que sa crise immobilière ne se transforme en crise financière grave comme celle qu’avait connu le Japon dans les années 90.
Xi Jinping procède à un rééquilibrage de son économie vers la consommation (en la verdissant), mais celui-ci peine à se matérialiser. La consommation chinoise ne représente que 38 % du PIB, loin des 70 % pour la consommation américaine. Si le PIB du T3 a montré que la croissance chinoise était plus équilibrée, car tirée par la consommation, cette tendance doit être soutenable sur le long terme.
L’environnement international, moins porteur, à cause notamment des sanctions américaines sur sa technologie, a contraint la Chine à se renfermer sur elle-même en accélérant son recentrage sur sa demande domestique. C’est le cas, notamment, pour l’industrie des semi-conducteurs où les investissements de la Chine dans ce secteur se sont intensifiés. La double circulation continue à être mise en œuvre pour permettre à la Chine de bénéficier des services dont elle a besoin pour son essor économique. Si le risque de contagion financière semble limité, les effets d’un fort ralentissement économique chinois auraient en revanche de grandes répercussions sur le reste du monde.
Par Zouhoure Bousbih