La fin du shutdown aux Etats-Unis a échoué à insuffler un nouveau vent d’optimisme sur les marchés financiers
En comparaison, les indices actions européens se montrent plus résilients
Tous ces éléments nous incitent à maintenir notre neutralité sur la duration tandis que nous restons prudents sur les marchés d’actions et en particulier sur les indices américains
Tant espérée ces dernières semaines, la fin du shutdown aux Etats-Unis a échoué à insuffler un nouveau vent d’optimisme sur les marchés financiers, éclipsée par les craintes de dégonflement de la thématique Intelligence Artificielle et par les doutes quant à la volonté de la Fed de procéder à une autre baisse de taux directeurs en décembre.
La semaine avait pourtant débuté sous les meilleurs auspices avec l’annonce d’un accord entre un groupe de sénateurs Démocrates et leurs pairs Républicains pour mettre fin à la plus longue période de paralysie gouvernementale de l’histoire des Etats-Unis. Le coût économique de celle-ci ne sera sans doute pas négligeable, les estimations indiquant que la croissance américaine a probablement été amputée de 1% ce trimestre. Mais pour le mesurer encore faut-il que les statistiques américaines soient de nouveau publiées, ce qui devrait encore prendre du temps. Certaines données sur le marché de l’emploi en octobre pourraient même ne jamais être récupérées selon l’administration Trump, laissant ainsi la Fed naviguer à vue et étaler au grand jour les divisions entre ses membres. En l’absence de statistiques indéniables confirmant la poursuite de la dégradation du marché du travail, ce sont les gouverneurs les plus hawkish qui se montrent les plus vocaux en soulignant la persistance des pressions inflationnistes et leur inconfort à réduire une nouvelle fois les taux directeurs.
Un message bien reçu par les investisseurs qui ont nettement revu à la baisse leurs anticipations, si bien que la probabilité d’une baisse de taux à la prochaine réunion de décembre n’est plus que de 49,5%. Cet ajustement des attentes entretient les pressions haussières sur les taux souverains, avec un taux à 10 ans américain revenu autour de 4,13%, mais pèse surtout sur l’appétit pour le risque et contribue à la rechute des marchés d’actions en fin de semaine comme en témoigne la nette sous-performance du Russell 2000. Le Nasdaq n’est toutefois pas en reste, reflétant davantage les inquiétudes autour de l’Intelligence Artificielle alors qu’un nombre croissant d’investisseurs remet en question la logique économique derrière les investissements colossaux consentis par les grands groupes technologiques pour construire des centres de données et développer les capacités de calcul. Ces craintes sont exacerbées par le recours de plus en plus important à l’endettement, que ce soit sur le marché obligataire coté ou le marché de la dette non cotée, ainsi que les niveaux de valorisation extrêmement élevés sur lesquels évoluent certaines valeurs, ce qui ne laisse guère de place à d’éventuelles déceptions.
En comparaison, les indices actions européens se montrent plus résilients, bien aidés par une saison de publications des résultats encourageante, des indicateurs de confiance chez les entreprises bien orientés et une situation politique française qui n’inquiète plus. Le spread entre les taux français et allemands à 10 ans continue d’ailleurs de reculer (à 73 pb désormais) en dépit du vote de la suspension de la réforme des retraites à l’Assemblée Nationale. Les investisseurs préfèrent à ce stade saluer la poursuite des discussions budgétaires et semblent s’accommoder d’un déficit qui pourrait s’élever à -5% l’année prochaine à mesure que des concessions budgétaires sont faites. Autre pays en proie à d’intenses négociations budgétaires, le Royaume-Uni a vu ses taux souverains repartir fortement à la hausse en fin de semaine après l’abandon du relèvement de l’impôt sur le revenu initialement prévu par la ministre des Finances, R. Reeves. Mentionnons enfin que le comité des experts économiques conseillant le chancelier allemand, F. Merz, a revu à la baisse sa prévision de croissance en 2026 à 0,9% (vs 1.3% selon le gouvernement), en raison des délais d’implémentation plus longs que prévu de la relance fiscale.
Tous ces éléments nous incitent à maintenir notre neutralité sur la duration, avec une préférence pour les dettes émergentes et le crédit Investment Grade, tandis que nous restons prudents sur les marchés d’actions et en particulier sur les indices américains.
Actions européennes
Une semaine volatile, avec des catalyseurs positifs qui ont entrainé une reprise des marchés au début de celle-ci. La saison des résultats est orientée favorablement, avec 70% des entreprises européennes ayant publié leurs résultats ; 54% d’entre elles surpassant les attentes. Mentionnons également l’amenuisement de la perception du risque politique en France, après une déclaration du ministre français des Finances de plus en plus confiant dans la capacité du gouvernement à faire adopter un budget. La fin de semaine est néanmoins marquée par un regain d’attentisme des investisseurs, en l’absence d’éléments positifs additionnels et compte tenu des interrogations sur la portée et l’efficacité de la relance budgétaire en Allemagne.
Les arbitrages sectoriels en témoignent, les publications de résultats ayant peu été récompensées par les investisseurs. Malgré tout, certaines thématiques restent porteuses, à l’instar de la reprise du segment du luxe, avec notamment LVMH qui devrait ouvrir d’importants magasins en Chine après des premiers signes d’une reprise des ventes dans la zone. Mentionnons également la publication encourageante de Burberry avec des résultats supérieurs aux attentes. Du côté du secteur de la défense, Berlin a déclaré vouloir acheter vingt hélicoptères de combat auprès d’Airbus avec une livraison prévue en 2027, soutenant ainsi le secteur. Alstoma fait état de bons résultats avec une dynamique commerciale soutenue, posant les bases du retour à une génération de flux de trésorerie positive au deuxième semestre. Le fabricant allemand de semi-conducteurs Infineon a relevé de manière significative son objectif de chiffre d’affaires pour 2026, anticipant notamment une demande soutenue dans les segments des alimentations électriques destinées à l’Intelligence Artificielle. Mentionnons enfin la très bonne publication de KBC, avec des résultats supérieurs aux attentes ce qui devrait entrainer une révision à la hausse du consensus.
Actions américaines
Les marchés américains ont évolué de manière contrastée cette semaine, le S&P 500 progressant légèrement de +0,13 % tandis que le Nasdaq 100 a reculé de –0,26 %. La fin du plus long shutdown de l’histoire des États-Unis – 43 jours – aurait pu offrir un soutien durable, avec un Dow Jones atteignant des records au-dessus de 48 000 points à l’annonce de l’accord budgétaire, mais cette bonne nouvelle a été éclipsée par la montée des inquiétudes sur les valorisations des valeurs liées à l’IA et par la baisse progressive de la probabilité d’une nouvelle réduction des Fed Funds en décembre, désormais estimée autour de 50 %. Le marché évolue par ailleurs dans un vide statistique inédit : les chiffres d’emploi et d’inflation d’octobre pourraient ne jamais être publiés sous leur forme habituelle, ce qui renforce l’impression d’une Fed contrainte d’avancer dans le brouillard. Sur le plan politique, la Maison-Blanche reste sous pression après de nouvelles révélations autour de l’affaire Epstein, tandis que la Cour suprême se prépare à examiner en janvier le recours de Donald Trump visant à révoquer la gouverneure de la Fed Lisa Cook, alimentant en toile de fond le débat sur l’indépendance de la banque centrale.
Les marchés ont une nouvelle fois été dominés par le thème de l’intelligence artificielle, cette fois-ci de manière contrastée. AMD (+6,2 %) a annoncé une croissance annuelle supérieure à 35 % sur trois à cinq ans, dopée par une hausse de 80 % par an de ses ventes de puces IA, tandis que Microsoft (+1,3 %), Google, Meta (–1,9 %), Amazon (–2,8 %) et plusieurs acteurs spécialisés ont détaillé de nouveaux investissements massifs dans les data centers, comme l’illustre l’annonce de 50 milliards de dollars d’investissement dans l’infrastructure informatique et les data centers aux États-Unis par Anthropic. Le sentiment s’est toutefois retourné après la cession par SoftBank de 5,8 milliards de dollars de titres Nvidia (–0,7 %), la révision à la baisse des perspectives de CoreWeave (–24,7 %) liée aux contraintes logistiques, ainsi que des mises en garde de dirigeants comme celui de Palantir sur le risque d’investissements IA non rentabilisés. Les grandes valeurs du thème – Nvidia, Tesla (–6,4 %), Alphabet et plusieurs semi-conducteurs – ont nettement reculé, incitant les investisseurs à se tourner vers les secteurs plus défensifs. La santé a été le principal bénéficiaire de cette rotation, soutenue par des valorisations attractives et des flux acheteurs. Pfizer (+5,6 %) a finalisé l’acquisition de Metsera pour un montant pouvant atteindre 10 milliards de dollars et envisage de céder sa participation résiduelle dans BioNTech. Les secteurs cycliques ont évolué de manière plus contrastée : FedEx (+2 %) a relevé ses prévisions malgré des volumes faibles. Boeing reste sous pression après l’immobilisation d’avions cargos. Dans la consommation et les services, Walt Disney (–2,8 %) a déçu malgré un bénéfice supérieur aux attentes. En toile de fond, le dollar se replie légèrement tandis que l’once d’or progresse de 4 % sur la semaine et celle de l’argent de 9 %.
Marchés émergents
L’indice MSCI EM a progressé de 2,05 % cette semaine en dollars américains (clôture de jeudi). La Corée, la Chine, le Brésil, l’Inde et Taïwan ont respectivement enregistré des hausses de 5,02 %, 2,84 %, 2,70 %, 1,33 % et 0,17 %. Le Mexique a reculé de 0,23 %.
En Chine, l’IPC en octobre a augmenté de 0,2 % en glissement annuel, dépassant les prévisions qui tablaient sur une baisse de 0,1 %, la moitié de cette amélioration étant attribuable à l’or. La croissance du crédit a atteint son plus bas niveau annuel en octobre, le financement global ayant augmenté de 815 milliards de yuans, soit moins que prévu. Les ventes au détail pour le mois d’octobre ont augmenté de 2,9 % en glissement annuel, légèrement mieux que les estimations de 2,8 %. La production industrielle en octobre a augmenté de 4,9 % en glissement annuel, ce qui est inférieur aux prévisions de 5,5 %. Les achats de soja américain ont stagné après une forte hausse le mois dernier, ce qui soulève des doutes quant à la réalisation des objectifs fixés par l’administration du président Trump. Les États membres de l’UE ont convenu de mettre fin à l’exonération des droits de douane sur les commandes de faible valeur inférieures à 150 euros provenant de détaillants tels que Temu et Shein, dans le but de freiner les importations chinoises bon marché. Tencent a annoncé des résultats solides, supérieurs aux attentes, avec un chiffre d’affaires et un bénéfice net en hausse respectivement de 15 % et 18 % en glissement annuel. Tencent Music a enregistré de bons résultats, avec un revenu moyen par utilisateur mensuel en hausse de 10 % en glissement annuel et un bénéfice net en hausse de plus de 30 %. Les résultats de Bilibili ont également dépassé les attentes, avec une augmentation saine des marges grâce à une activité publicitaire solide et à un effet de levier opérationnel.
À Taïwan, Foxconn a annoncé des résultats supérieurs aux prévisions, grâce à la hausse continue des revenus liés à l’IA, et la direction s’est montrée optimiste quant à la croissance de l’activité et à la dynamique de l’IA. TSMC a enregistré sa plus faible croissance mensuelle depuis plus d’un an, avec une hausse de 16,9 % de ses ventes en octobre.
En Corée, les exportations des dix premiers jours de novembre ont augmenté de 6,4 % en glissement annuel, tandis que les importations ont progressé de 8,2 %. Les autorités chinoises ont décidé de suspendre pendant un an les sanctions à l’encontre des filiales américaines de la société sud-coréenne Hanwha Ocean Co Ltd.
En Inde, l’IPC global a encore ralenti pour s’établir à 0,3 % en glissement annuel, son plus bas niveau historique, contre 1,4 % en septembre, en partie en raison de l’effet de base et de l’impact de la rationalisation de la TPS (taxe sur les produits et services). Le groupe DHL a annoncé qu’il investirait environ 1 milliard d’euros en Inde d’ici 2030, alors que le pays continue de jouer un rôle croissant dans les chaînes d’approvisionnement internationales. Maruti Suzuki, Hyundai et Tata Motors augmentent considérablement leur production de 20 à 40 % afin de répondre à la demande en forte hausse après les réductions de la TPS. Eicher Motorsa annoncé un chiffre d’affaires supérieur aux prévisions grâce à une demande soutenue, et la direction s’attend à ce que cette demande reste forte. Tata Steel a annoncé un trimestre marqué par une baisse des réalisations, compensée par une baisse des coûts. Les résultats d’Amber ont été nettement inférieurs aux estimations en raison de la faiblesse des biens durables et de l’électronique.
Au Brésil, l’IPC du mois d’octobre a augmenté de 4,68 % en glissement annuel, soit légèrement en dessous des prévisions. Les ventes au détail du mois de septembre ont augmenté de 0,8 % en glissement annuel, soit en dessous des prévisions de 2,0 %. Nubank a dépassé les attentes élevées grâce à la baisse du coût du crédit, tandis que Banco do Brasil a continué de décevoir en raison de facteurs idiosyncrasiques.
Au Mexique, l’inflation du mois d’octobre a augmenté de 3,57 % en glissement annuel, conformément aux prévisions. La production industrielle pour septembre a reculé de 2,4 % en glissement annuel, conformément aux estimations. Estée Lauder a annoncé un investissement minoritaire dans la marque de parfums mexicaine XINÚ. Le gouvernement a augmenté les droits de douane jusqu’à 210 % sur les importations de sucre afin de protéger l’industrie nationale.
Au Pérou, Credicorp a publié des résultats solides, avec une rentabilité en hausse.
Au Chili, toute l’attention se porte sur le premier tour de l’élection présidentielle de dimanche.
Dettes d’entreprises
La semaine a débuté sur un vent positif, avec la fin du shutdown, entrainant un fort resserrement des indices crédit. Mais comme un arbre peut cacher la forêt, le marché s’est très vite tourné vers le flux de publications économiques, préalablement bloqué par le shutdown, avec le sentiment qu’il pourrait aller à l’encontre d’une baisse de taux supplémentaire de la Fed en décembre. L’indice Crossover reste en resserrement de 5pb sur la semaine, après avoir touché les 15pb de resserrement en milieu de semaine et les taux, € comme $, se sont écartés de 3-4pb. Le cash Investment Grade est stable sur la semaine (à jeudi soir) quand les actifs plus risqués ont bénéficié des resserrements de spread du début de semaine, terminant à +0,15% pour les CoCo € et +0,12% pour le High Yield Corporate. Pour ce qui est de l’actualité, la banque néerlandaise ABN Amro a annoncé l’acquisition de NIBC pour 960 millions €, une opération de M&A 100% domestique. La banque italienne BPER a émis 750 millions € d’AT1 à 5.875% suite à l’acquisition de Sondrio.
Coté Corporate, nous noterons l’émission de Repsol en format Hybride pour 750 millions € assortis d’un coupon de 4.179%. Le segment High Yield en £ a voulu profiter d’un bon momentum sur les taux à deux semaines de la présentation du budget au Royaume-Uni, pour émettre deux nouvelles obligations : une par l’aéroport Gatwick, 475 millions £ à 6%, et une par l’entreprise de loisirs britannique David Lloyd, 850millions £ à 7%.
Achevé de rédiger le 14/11/2025.
GLOSSAIRE
• Les titres « Investment Grade » désignent des titres obligataires émis par des entreprises dont le risque de défaut de paiement varie de très faible (remboursement presque certain) à modéré. Ils correspondent à une échelle de notation allant de AAA à BBB- (notation Standard&Poor’s).
• Les titres « High Yield » sont des obligations d’entreprises présentant un risque de défaut supérieur aux obligations Investment Grade (ou catégorie investissement) et offrant en contrepartie un coupon plus élevé.
• La dette senior bénéficie de garanties spécifiques. Son remboursement se fait prioritairement par rapport aux autres dettes, dites dettes subordonnées.
• La dette est dite subordonnée lorsque son remboursement dépend du remboursement initial des autres créanciers.
• Tier 2 / Tier 3 : segment de la dette subordonnée.
• La duration correspond à la durée de vie moyenne d’une obligation actualisée de tous les flux (intérêt et capital).
• Le spread désigne l’écart entre le taux de rentabilité actuariel d’une obligation et celui d’un emprunt sans risque de même maturité.
• Les valeurs dites «Value » sont considérées comme sous-évaluées.
• EBITDA est l’acronyme de Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization (en français : résultat d’exploitation avant intérêts, impôts et amortissement). Il mesure donc la création de richesse avant toute charge calculée. Il trouve son équivalent français en l’EBE (Excédent brut d’exploitation).
• Le terme “Quantitative Easing” désigne un type de politique monétaire dit non conventionnel auquel peuvent avoir recours les banques centrales dans des circonstances économiques exceptionnelles.
• Un « stress test » est une techniques destinée à évaluer la résistance d’institutions financières.
• L’indice PMI, pour “Purchasing Manager’s Index” (indice des directeurs des achats), est un indicateur permettant de connaître l’état économique d’un secteur.
• Coco (contingent convertible bonds) : format de dette subordonnée.
• Mortgage : une hypothèque est un instrument financier de garantie d’une dette.
• Les AT1 font partie d’une famille de titres de capital bancaire connus sous le nom de convertibles contingents ou «Cocos». Convertibles parce qu’elles peuvent être converties d’obligations en actions (ou dépréciées entièrement) et contingentes parce que cette conversion ne se produit que si certaines conditions sont remplies, comme la solidité du capital de la banque émettrice tombant en dessous d’un seuil de déclenchement prédéterminé.
