A – LES VELLEITES EXPANSIONNISTES DE TRUMP SUR LE GROENLAND SONT MASSIVEMENT REJETÉES PAR LES AMERICAINS COMME PAR LES FRANCAIS
A l’heure où Donald Trump a confirmé ses visées sur le Canada et le Groenland lors d’une récente entrevue à NBC News, force est de constater que ses projets expansionnistes sont loin d’être soutenus de part et d’autre de l’Atlantique.
1 – A l’occasion de sa visite de ce dimanche 15 juin, Emmanuel Macron pourra se prévaloir du net soutien de son opinion publique sur ce sujet : plus des trois quarts des Français (77%) rejettent les velléités expansionnistes de Donald Trump sur ce territoire autonome du Danemark, contre à peine 5% qui y sont favorables et 18% n’ont pas d’avis sur le sujet. L’annexion du Groenland par les Etats-Unis est donc soutenue de manière très marginale dans l’hexagone, à l’exception des jeunes (11% chez les moins de 35 ans) et des sympathisants d’extrême-droite (ex : 10% des sympathisants RN).
2 – Si une majorité de Français rejette les velléités expansionnistes du président Trump, ce dernier est loin d’être soutenu par sa propre opinion publique : moins d’un Américain sur quatre approuve son idée d’annexer le Groenland (22% la soutiennent, contre 56% qui la désapprouvent), tout comme d’ailleurs celle d’annexer le Canada: seuls 19% l’approuvent, contre 66% qui le désapprouvent. Et le nouveau président étatsunien est loin d’être suivi par son propre camp : seul un quart des Républicains sont favorables à l’annexion du Canada (28%), tout comme à celle du Groenland (38%).
3 – Ces projets mettent toutefois en exergue des clivages qui rappellent beaucoup ceux observés lors de la dernière élection présidentielle. En effet, ces projets d’annexions mettent en lumière non seulement un gender gap – comme par exemple l’annexion du Groenland soutenue par 26% des hommes contre 18% des femmes – mais aussi un clivage de genre très net au sein des jeunes : les hommes de moins de 35 ans (33%) étant deux fois plus favorables à l’annexion du Canada que les femmes du même âge (15%).
Le point de vue de François Kraus de l’Ifop : Au regard de ces résultats, les velléités expansionnistes de Donald Trump en Amérique du Nord apparaissent très éloignées des attentes de ses administrés : l’impérialisme trumpien nous apparaissant comme un phénomène très minoritaire en dehors des conservateurs et des jeunes hommes. Difficile de ne pas voir dans cet expansionnisme territorial l’expression d’un « masculinisme juvénile » chez des jeunes hommes qui y trouvent peut-être une façon d’assumer des pulsions d’agressivité et de domination qu’ils peinent à exprimer dans le monde réel. Le fait que ces projets impérialistes soient particulièrement populaires dans les rangs des « gamers » conforte en tous cas le profil particulier de leurs partisans.
Une très large opposition des Français
Si une majorité d’Américains rejette les velléités expansionnistes de leur président, cette opposition est encore plus forte chez les Français, atteignant des niveaux exceptionnellement élevés : 78% s’opposent à l’annexion du Canada, 77% à celle du Groenland et 75% à la prise de contrôle du canal de Panama par les États-Unis, révélant un consensus bien plus large sur ce sujet. Par exemple, l’annexion du Canada par les USA n’est soutenue que par 5% des Français, avec un pic de 9% chez les électeurs lepénistes.
B – UN REJET ENCORE PLUS FORT EN CAS DE RECOURS A LA FORCE
Si l’administration Trump a exclu l’utilisation de la force pour annexer son voisin canadien, que pensent les Américains et les Français d’un potentiel recours aux forces armées pour prendre le contrôle de territoires comme le Groenland ou le canal du Panama ?
4 – L’opinion publique américaine apparaît encore plus rétive à l’expansionnisme trumpien si celui-ci s’accompli sous l’effet de pressions militaires ou économiques. En effet, une large majorité d’Américains se disent opposés à l’idée de recourir à des pressions économiques pour annexer le Canada (68%) ou à utiliser la force militaire pour annexer le Groenland (70%).
5 – De même, si sur le principe, l’idée d’une prise de contrôle du canal de Panama est moins impopulaire que l’annexion du Canada (35% des Américains l’approuvent, contre 48% qui la désapprouvent), réitérer une opération militaire comme ce fût le cas lors de l’invasion du pays en 1989 n’est pas du tout populaire : seule une minorité d’Américains y est favorable (21%), y compris dans les rangs des Républicains (33%).
Une opposition quasi unanime des Français
L’opposition au recours à des pressions militaires ou économiques pour accomplir ses annexions est encore plus forte chez les Français, dépassant le seuil des 80% : 81% des habitants de l’hexagone s’opposent à l’annexion du Canada, 82% à celle du Groenland et 82% à la prise de contrôle du canal de Panama par les États-Unis.
C – L’OPPOSITION DES FRANÇAIS AUX PROJETS IMPÉRIALISTES AMERICAINS EST SUFFISAMMENT FORTE POUR JUSTIFIER POTENTIELLEMENT UNE RÉACTION MILITAIRE DE LA FRANCE
A l’heure où l’on fête la victoire des alliés sur un autre impérialisme, l’impérialisme allemand des années 30, il peut aussi être intéressant de savoir jusqu’où peut aller les l’opposition des Français à l’impérialisme trumpien, notamment s’il affecte des pays membres de l’Otan comme le Canada ou des pays associés à l’Union Européenne comme le Groenland.
5 – L’opposition des Français aux projets impérialistes de Trump est suffisamment vive pour qu’une fraction importante de la population française se dise prête à ce que la France intervienne militairement pour les contrer. Ainsi, plus de quatre Français sur dix (44%) estiment que la France doit empêcher « au besoin par la force » l’annexion du Canada par les Etats-Unis, soit une proportion similaire (43%) à celle qu’on observe en cas d’annexion du Groenland (44%). Moins proche culturellement, le Panama suscite en revanche moins d’empathie si l’on en juge par la proportion plus limitée de Français (34%) prêts à empêcher « par la force » la prise de contrôle de son canal.
6 – A un peu plus 80 ans d’intervalles, la comparaison des réponses des Français avec celles mesurées par l’Ifop en 1939 face au projet nazi d’annexion du couloir de Dantzig – projet qui déclencha la deuxième guerre mondiale – montre néanmoins que l’inquiétude de la population française n’est pas de la même ampleur : les Français sont deux fois moins nombreux (43%) à vouloir empêcher par la force les USA d’annexer le Groenland qu’ils n’étaient en juin 1939 (76%) à vouloir empêcher l’Allemagne de s’emparer de Dantzig[1].
Il est vrai que la menace américaine est sans doute perçue comme moins vitale par les Français et ceci d’autant plus qu’elle concerne des territoires situés à de milliers de kilomètres de l’Hexagone.
7 – L’analyse du profil politique des partisans d’une opposition militaire aux projets impérialistes américains révèle quant à lui une constante historique frappante : comme en 1939 face aux projets d’expansion nazis, c’est à l’extrême-droite qu’on trouve la plus forte réticence à défendre militairement le droit international contre les menaces expansionnistes : seuls 32% des sympathisants RN sont favorables à une intervention militaire française contre une annexion du Canada, contre 65% des sympathisants LFI et 78% des sympathisants Renaissance. Or, déjà en 1939, c’est Marcel Déat, néosocialiste et future figure de la collaboration qui refusait de réagir à l’impérialisme nazi dans une fameuse tribune « Faut-il mourir pour Dantzig ? » (L’Œuvre du 2 mai 1939).