*Par Patrice Nzianse Pognon – Consultant
Par Rudy Casbi, entrepreneur et contributeur
La plus grande mine d’or du XXIᵉ siècle ne se trouve ni au Ghana ni en Afrique du Sud, mais dans les quelque 1 000 exaoctets de données que l’Afrique générera d’ici 2030. Le paradoxe est brutal : 80 % de ces données sont aujourd’hui hébergées hors du continent, principalement en Europe et aux États-Unis. Pour les investisseurs, c’est une anomalie de marché criante : un continent de 1,4 milliard d’habitants, dont l’économie numérique croît de 12 % par an selon le GSMA, reste quasiment absent des grands portefeuilles mondiaux.
Une guerre froide des data centers et des câbles sous-marins
La Chine a pris une avance considérable. Grâce à la Belt and Road Initiative, Pékin a injecté 39 milliards de dollars d’investissements numériques en Afrique rien qu’au premier semestre 2025. Plus de 60 % des nouveaux câbles sous-marins posés sur les côtes africaines sont financés ou construits par des groupes chinois – Huawei Marine, China Telecom, China Mobile. L’objectif n’est plus seulement technique : il s’agit de créer des actifs directement monétisables, qu’il s’agisse d’obligations BRI convertibles ou de filiales cotées à Hong Kong et Shanghai.
Bruxelles contre-attaque avec le Global Gateway : 150 milliards d’euros promis d’ici 2027, dont 47 milliards déjà décaissés cette année. L’approche européenne est différente : elle mise sur des data centers alimentés en énergies renouvelables et sur des partenariats avec des opérateurs locaux – Raxio Group au Mozambique, Africa Data Centres en Afrique du Sud, PAIX aux Pays-Bas et en Côte d’Ivoire – afin que l’Afrique ne devienne le supplétif numérique d’aucune puissance.
Le produit boursier qui manque cruellement
Actuellement, l’investisseur qui veut jouer la thématique digitale africaine n’a que des solutions partielles et diluées : le VanEck Africa Index ETF ne consacre que 4 % de son poids aux valeurs purement numériques ; les grands ETF émergents excluent presque totalement les infrastructures de données et les câbles sous-marins africains.
Il est temps de combler ce vide avec un véritable ETF panafricain dédié : le **Digital Africa Infrastructure ETF( ticker suggéré : DAFR). Coté principalement à la Johannesburg Stock Exchange, avec double listing sur Euronext Paris et le London Stock Exchange, il suivrait un nouvel indice « Africa Digital Infrastructure » composé de 35 à 40 valeurs.
L’allocation cible serait la suivante : environ 35 % dans les opérateurs de data centers et de cloud (Africa Data Centres, Raxio, MDXi-MainOne, PAIX), 25 % dans les réseaux télécoms et la fibre (Liquid Intelligent Technologies, WIOCC, SEACOM, Paratus), 20 % dans les producteurs d’énergie renouvelable dédiés aux data centers (Globeleq, Scatec, Mainstream Renewable Power), 15 % dans la fintech et les paiements digitaux (Flutterwave, Safaricom-M-Pesa, Interswitch, Network International) et 5 % dans les grands projets de câbles sous-marins et de constellations satellites (2Africa, Equiano, Starlink Africa).
Les chiffres qui font saliver les gérants
Le marché africain des data centers croît de 25 % par an jusqu’en 2030 selon BroadGroup. Le continent aura besoin d’au moins 700 nouveaux data centers d’ici 2050 et de 100 milliards de dollars d’investissements pour atteindre une couverture broadband universelle. Les actifs sous-jacents affichent déjà des cash-flow yields supérieurs à 10 % pour les data centers et des taux de croissance de plus de 30 % pour les fintech. L’indice pourrait ainsi offrir un rendement dividende de 6 à 8 % et un potentiel de multiple de quatre à six fois d’ici 2035 si l’Afrique parvient à capter 5 % du marché mondial du cloud – contre moins de 1 % aujourd’hui.
Pourquoi 2026 sera l’année du lancement
La capitalisation boursière combinée des sociétés digitales africaines dépasse déjà 400 milliards de dollars en novembre 2025. Les fonds de pension européens, sous pression ESG, et les fonds souverains du Golfe recherchent activement des actifs combinant croissance et impact. Surtout, l’AfCFTA rend enfin possible l’émergence de champions véritablement panafricains cotables.
L’Afrique n’a plus à choisir entre le modèle chinois, rapide mais risqué, et le modèle européen, plus lent mais durable.
Elle peut faire financer les deux – en transformant sa souveraineté numérique en un actif boursier de premier rang.
Les données africaines ne sont plus une guerre silencieuse.
Elles sont la prochaine grande introduction en bourse du continent.
Il est grand temps de les coter.


