Antoine Fraysse-Soulier, analyste de marché pour eToro
Depuis quelques jours, la situation entre Nvidia et la Chine connaissent une phase de tension, avec la décision de Pékin d’imposer des restrictions sur l’achat de certaines de ses puces. Cette mesure, encore floue dans son application, constitue un signal fort dans la dispute technologique entre la Chine et les États-Unis.
Selon plusieurs sources, dont Reuters et le Financial Times, les autorités chinoises ont demandé à des géants locaux de la tech – Alibaba, ByteDance, Baidu ou Tencent – de cesser leurs commandes de certaines puces Nvidia. La cible principale est la RTX Pro 6000D, une carte spécialement conçue pour contourner les restrictions américaines à l’export, en offrant une puissance réduite par rapport aux modèles haut de gamme interdits. D’autres références comme la H20, également “bridée” pour le marché chinois, auraient aussi été évoquées.
Il y a trois explications à cette barrière à l’entrée. Tout d’abord, afin de réduire sa dépendance aux Etats-Unis, la Chine affiche depuis plusieurs années sa volonté de développer ses propres capacités en semi-conducteurs et en intelligence artificielle. Restreindre Nvidia, symbole de la domination américaine, pourrait s’inscrire dans cette logique. Ensuite, il y a un enjeu de sécurité nationale. Certains organes chinois évoquent des risques liés à l’intégrité des puces étrangères (soupçons de backdoors). Enfin, la réglementation antitrust, Nvidia est accusé de pratiques anticoncurrentielles, liées notamment à son rachat du fabricant israélien Mellanox.
Cette décision ne peut être aussi dissociée du cadre imposé par Washington. Depuis 2022, les États-Unis multiplient les contrôles à l’exportation qui empêchent la Chine d’accéder aux technologies les plus avancées, jugées sensibles pour des usages militaires et stratégiques. Nvidia et AMD ont dû concevoir des versions “allégées” de leurs puces pour pouvoir continuer à vendre en Chine, tout en acceptant de reverser une partie de leurs revenus à l’administration américaine dans le cadre de licences spéciales.
Pour Nvidia, l’annonce est un coup dur symbolique, mais son impact économique pourrait être limité. Le groupe dirigé par Jensen Huang réalise aujourd’hui la majorité de ses revenus sur les marchés occidentaux, notamment auprès des géants du cloud américains (Microsoft, Google, Amazon). Conscient des risques géopolitiques, Nvidia a déjà intégré dans ses prévisions l’idée que la Chine ne contribuerait plus de façon significative à ses ventes de puces IA les plus rentables.
L’interdiction des puces Nvidia en Chine dépasse largement le seul cadre commercial, elle illustre la montée des tensions dans la guerre froide technologique entre Pékin et Washington. Si Nvidia peut absorber le choc grâce à la diversification de ses clients, l’enjeu de fond reste la course à l’indépendance en intelligence artificielle. L’avenir dira si cette décision marque un simple épisode, ou un changement structurel durable dans l’accès de la Chine aux technologies occidentales.